Monsieur le Président,
La crise sanitaire a particulièrement mis en lumière que les services publics sont essentiels à notre société. Ils sont le bien commun de chacun citoyen, indispensables à une société solidaire pour se loger, éduquer ses enfants, se soigner, se déplacer…
Plus que jamais lors des confinements qui se sont succédés depuis bientôt deux ans, les agents départementaux se sont pleinement investis et ont assumé leurs missions de service public dans des conditions particulièrement difficiles.
Malgré ce constat, la Loi Dussopt dite de « Transformation de la Fonction Publique » continue de se décliner par ordonnance déconstruisant méthodiquement la fonction publique avec aujourd’hui l’augmentation du temps de travail, ultime levier de réduction du nombre de fonctionnaires jugés « trop coûteux » au regard de la dette publique.
Alors que selon nous, le progrès et l’histoire sociale vont dans le sens d’une réduction du temps de travail (32h), le passage aux 1607 heures nous est présenté par notre collectivité comme inévitable impliquant une perte de congés de presque 10 jours par an.
Considérant que rien n’est inéluctable, la CGT s’oppose évidemment à cette régression sociale.
Comme vous le savez, des leviers législatifs et politiques permettent au minimum de ne pas augmenter le temps de travail des agents.
L’article 47 de la loi de Transformation de la Fonction publique abroge tous les régimes dérogatoires au volume annuel de 1607 heures de travail dans la fonction publique territoriale. La durée légale du travail reste de 35 heures par semaine, mais le nombre de jours travaillés annuellement est adapté pour représenter 1607 heures.
Cependant la loi ne précise aucune notion de minimum ou de maximum pour les 1607 heures mais obligerait les employeurs territoriaux à délibérer pour se mettre en conformité avec la loi dans un délai d’un an à compter du renouvellement de chacune des assemblées délibérantes, soit juin 2022 pour les régions et les départements.
Et c’est bien la réponse que vous nous avez apporté lors de notre rencontre bilatérale le 22 septembre dernier : « Cette loi a été adoptée. En tant qu’élu républicain, je me dois de trouver des voies pour me mettre en conformité avec la législation ».
Il est vrai que l’introduction dans la loi de cette disposition vise ainsi à dédouaner les employeurs territoriaux de leurs responsabilités et d’éviter tout rapport de force défavorable avec les agents et leurs syndicats.
Pourtant, avec les dispositions actuelles en vigueur, il est toujours possible de déroger au temps de travail réglementaire en le motivant et en s’appuyant sur deux textes législatifs :
1/ L’ordonnance n° 2021-174 du 17 février 2021 relative à la négociation et aux accords collectifs dans la fonction publique qui autorise les autorités administratives et territoriales et les organisations syndicales représentatives de fonctionnaires à conclure et signer des accords portant sur des domaines relatifs (nous ne citons ici que le second alinéa) :
« Au temps de travail, au télétravail, à la qualité de vie au travail, aux modalités des déplacements entre le domicile et le travail ainsi qu’aux impacts de la numérisation sur l’organisation et les conditions de travail ».
Ainsi, rien n’empêche dans la loi à un employeur d’accorder des jours de repos liés à des sujétions particulières reconnaissant la pénibilité ou l’usure professionnelle par exemple.
Mais nous ne souhaitons pas activer cette modalité qui ne ferait qu’opposer et différencier le traitement des agents entre eux.
2/ Selon le site officiel Vie-publique.fr, « La libre administration des collectivités territoriales est un principe consacré par la Constitution (art. 72 al. 3) : « Dans les conditions prévues par la loi, les collectivités s’administrent librement par des conseils élus et disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences. »
La libre administration est toutefois une notion abstraite qui ne permet pas d’emblée de déterminer ce que peuvent faire les collectivités territoriales. Il s’agit d’un principe de protection à l’égard des empiétements de l’État. C’est la loi qui précise le contenu de la libre administration, sous le contrôle du juge constitutionnel.
La libre administration se limite à des compétences « administratives » et exclut les compétences régaliennes (édiction de lois, justice, diplomatie).
Nous avons ici une loi qui impose aux collectivités des normes administratives. N’y a-t-il pas de fait, remise en cause du principe constitutionnel ?
Légalement, en l’absence de toute jurisprudence, aucune sanction ne semblerait être encourue par une collectivité qui n’appliquerait pas les dispositions de l’article 47.
La préfecture peut faire pression, mais n’y pourra donc rien. La Cour des comptes et ses chambres régionales liées aux intérêts du ministère des Finances n’ont donc ici aucun pouvoir législatif ou coercitif.
À noter :
Certaines collectivités se sont engagées sur cette voie. Dans un communiqué datant du 9 février 2021, sept maires du Val de Marne, le président du Conseil Départemental du 94 et le président de l’Établissement Public Territorial « Grand Orly Seine Bièvre » refusent d’obtempérer face à cette régression sociale inédite. A l’instar de ses homologues, dans un courrier adressé aux organisations syndicales de sa collectivité, le maire de Bonneuil-sur-Marne dénonce cette loi indiquant qu’il n’entend pas se plier aux injonctions du préfet imposant de façon autoritaire à la collectivité le retrait de 7 jours de congés payés. Il précise même que s’il le faut, il défendra devant le Tribunal Administratif les acquis de son service public communal.
Vous avez donc une marge de manœuvre !
Pour autant, vous vous obstinez à mandater l’administration et les organisations syndicales à mener ce chantier pour un passage en CT au mois de juin 2022.
In fine, soit les représentants du personnel jouent le jeu du dialogue, soit la loi risque d’être mise en œuvre dans son application la plus stricte …
Dans ce cadre, où est le dialogue social ?
Les représentants du personnel, eux, n’ont pas de marge de manœuvre ! Il n’y a aucune compensation à envisager, notamment en matière de salaire, de recrutements …
Encore une fois, nous l’affirmons, il est possible de trouver les formes pour maintenir l’essentiel de l’existant, voire sa totalité. Nous ne sommes pas sur la ligne d’obtenir des « compensations ». On ne peut pas compenser le vol des congés, sachant que la balance est toujours déséquilibrée pour les agents.
Car les fonctionnaires, portées aux nues un jour, décriés et mis à l’amende le lendemain, se retrouvent aujourd’hui dans une situation moins favorable que celle des salariés du secteur privé, dont les conventions collectives permettent encore de mettre en œuvre des dispositions plus favorables que la loi.
Et la CGT a des propositions !
La CGT, elle, porte la revendication de :
✓ 10 % de moins sur le temps de travail : diminution du temps de travail à 32 heures maximum sans perte de salaire, et 28 heures pour tous les métiers insalubres
✓ 10 % d’effectif en plus
✓ 10 % de plus immédiatement sur le point d’indice
✓ 10 % de plus pour la formation.
Nous vous demandons, Monsieur le Président, de rester fidèle à la tradition de progrès social, ancrée dans la culture et l’histoire de notre collectivité, et de l’affirmer courageusement pour que les conditions de travail des agents puissent continuer à concourir à la qualité du service public rendu à la population de Loire-Atlantique.
Nous vous demandons de surseoir explicitement à l’application de cette loi inepte.
Veuillez croire, Monsieur le Président, en nos salutations distinguées.
La CGT des agents départementaux.